Les Champs de regards de Sylvie Ruaulx

De mars à juin 2014, l’artothèque de Vitré invite la plasticienne Sylvie Ruaulx en résidence d’artiste pour créer, au coeur de la chapelle du lycée Bertrand d’Argentré, une installation qui se réalise avec l’utilisation de matériaux industriels issus des entreprises du territoire vitréen.

« Il y a maintenant longtemps que les artistes sortent de leur atelier mais c’est une chose d’en sortir et une autre de le transporter là où on est. Le principe de la résidence d’artiste diffère de la simple commande par le type d’activité qu’il implique : non pas faire quelque chose pour un lieu mais faire quelque chose quelque part où l’on demeure un temps. Il y a évidemment le lieu où l’oeuvre prendra place mais aussi les partenaires qu’on trouve : l’oeuvre commence avec la recherche de ceux avec lesquels on pourra faire quelque chose.

Dans le cas de Sylvie Ruaulx il s’agit d’abord de trouver des « fournisseurs » qui ne sont pas précisément vendeurs de peinture en tubes : plutôt des fabricants, des équipementiers, des fournisseurs spécialisés dans la plasturgie ou la transformation de métaux. Il faut les prospecter, les sélectionner et les convaincre de se prêter au jeu. Cette dimension de prospection et de relation du travail de l’artiste est aussi une dimension de l’oeuvre comme le rappelle la mention des entreprises qui coopèrent : pas de prospection, pas de coopération, pas d’oeuvre. »

Arnaud Guilloux et Isabelle Tessier, extrait du texte Faire de l’art.

Une accumulation d’objets textuels prélevés dans les analyses des historiens des arts de la première L et organisés selon une déambulation thématique

Jusqu’au mois de juin 2014 est exposée dans la chapelle du lycée l’installation de Sylvie Ruaulx intitulée « Champs de regards ». La plasticienne y a amassé une série de tuyaux destinés à l’assainissement. Des regards noirs, lourds, imposants. Elle leur donne un aspect sculptural et fait ressortir leur origine industrielle. L’apparence chaotique de l’exposition ne doit pas rebuter le spectateur qui peut même y circuler en empruntant un chemin aménagé, ce qui fait de cette création éphémère une œuvre ouverte, jamais figée, incitant à la promenade.

Les regards sont de grosses canalisations en PVC, des tubes en tous genres… Ce sont des objets ordinaires et non pas des œuvres d’art créées de toutes pièces par un artiste. Le travail de Sylvie Ruaulx consiste à exposer de manière inhabituelle ces matériaux venant de l’industrie. Mais ils ont beau être ordinaires, on ne les voit pas dans la vie quotidienne où leur présence est souterraine. Issus de la réalité prosaïque et révélés par l’exposition, ils sont ici insolites par leur banalité purement matérielle exposée hors de l’entrepôt ou du chantier.

Tous ces matériaux sombres et massifs sont mis en valeur par des néons blancs dissimulés de-ci de-là dans les canalisations ou simplement posés sur une cuve. Ces néons fins et longilignes contrastent avec la taille imposante et la couleur sombre des regards et apportent de la lumière, s’ajoutant à celle variable des vitraux de la chapelle. Partie intégrante de l’exposition, ils font ressortir la matière noire et soulignent la dimension sculpturale des objets. Sylvie Ruaulx casse ainsi les codes de présentation classique en insérant l’éclairage directement dans l’œuvre. Entrant dans sa composition, les néons nous permettent de l’observer, de la contempler ; ils éclairent les regards et accrochent les nôtres.

Le caractère insolite de cette création réside autant dans le matériau que dans le contexte dans lequel elle est exposée. Le contraste est assez frappant entre des objets industriels et la chapelle, entre le noir des regards et l’ocre et le blanc d’une pièce lumineuse, entre les matériaux, la pierre et le plastique.

L’ancienne chapelle du lycée n’est pas un espace d’exposition habituel, ce n’est ni un musée ni une galerie. Les tuyaux d’égouts occupent un lieu autrefois réservé à la méditation et à la spiritualité. Se lit ainsi une opposition entre l’ancienne chapelle, où s’exprimaient la foi et l’élévation vers Dieu, et les tuyaux d’assainissement, lugubres, en temps normal enfouis sous terre et dédiés à l’évacuation de nos déchets. Deux mondes se côtoient dans cet espace : les cieux et les bas-fonds.

Ces grosses pièces noires accumulées sont disposées dans un apparent désordre, un méli-mélo de regards, mais de manière à assurer un itinéraire d’exploration. Le spectateur – en action au cœur de l’œuvre - déambule dans ce chaos finalement ordonné et balisé par la présence des néons. Le chemin entre les regards est étroit et nous fait éprouver une impression de resserrement. Concentré sur sa progression dans l’espace, le visiteur jette de côté quelques regards sur les éléments de l’œuvre les plus proches. S’arrêtant, il porte la vue de bas en haut, embrassant l’étendue de l’accumulation, suivant la bande de chantier courant en avant des murs. Cette dernière masque les rampes de l’éclairage de la chapelle, donne une touche de couleur, rappelle le thème de l’exposition et définit un périmètre. Elle nous aide à nous orienter dans ce champ de vision dont l’encombrement bouscule les repères et reflexes ordinaires. Tout le dispositif invite à une marche nouvelle, sollicite nos sens de la vue et de l’orientation et remet en cause nos habitudes de visiteur.

Sylvie Ruaulx a fait appel à l’entreprise LFP (La Française des Plastiques) située à Louvigné de Bais, qui lui a prêté ces canalisations, cuves et autres modèles en PVC. L’artiste a découvert ces imposantes pièces noires posées par terre à proximité de l’usine qu’elle venait de visiter. Elle a eu un coup de cœur pour ces matériaux en attente. La première fois qu’elle les a vus, elle s’est même exclamée "L’exposition est à portée de main". Le fait que ces regards soient des fins de série qui ne servaient plus ne l’a pas dérangée, au contraire : "Nous avons là l’idée de valeur. La beauté, l’intérêt… Une nouvelle vision du monde". Pour la première fois, elle a emprunté les matériaux : en effet, l’exposition terminée, ils reviendront à l’entreprise. Sylvie Ruaulx détourne les regards le temps de l’installation.

L’artiste a la même volonté que Duchamp d’exposer telles des œuvres d’art des objets de la vie quotidienne, extraits d’une réalité prosaïque. En exposant ces produits industriels comme ready made, l’artiste les sort de leur contexte pour leur donner une autre signification. Le titre de l’exposition, « Champs de regards », suggère un parallèle avec l’œuvre de Marcel Duchamp. Toutefois ces objets ordinaires mis en scène vont retourner à l’usine sans que l’artiste ait posé sa signature. Ils ne seront jamais des œuvres d’art.

L’œuvre n’est pas conçue pour être belle mais pour offrir un spectacle, qui selon le degré d’adhésion du visiteur, peut susciter des réactions et des sentiments divers. Elle recherche la surprise. Surprise de voir l’espace de l’ancienne chapelle transformé en un champ de regards parsemé de néons. Surprise d’explorer un espace familier devenu étranger. Surprise de saisir dans l’apparent désordre des regards, des lignes, des volumes, des lumières et des reflets insolites. Surprise de croiser des regards d’une grande beauté. Rencontre entre un lieu, des objets industriels et le visiteur, l’œuvre devient un divertissement malicieux où l’artiste fait éprouver des émotions esthétiques à qui veut bien se laisser surprendre.

Les élèves de 1re L HDA
M. Stéphane Bigot

Exposition visible du 13 mai au 8 juin 2014

COMMISSARIAT : ISABELLE TESSIER

Horaires d’ouverture : sur rendez-vous pour les groupes

RENSEIGNEMENTS : 02 99 75 07 60 ET 02 99 75 45 20

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